vendredi 27 décembre 2013

LA TRAITE DES HOMINIDÉS par M. Tarrier




Le trafic LÉGAL de nos frères les Grands singes, véritable traite d'Hominidés, se poursuit comme si de rien n'était, de cage en cage, de zoo en ménagerie... Ces jours-ci, c'est à grand renfort de pubs que l'hétéroclite Jardin des Plantes parisien, bien qu'en total désuétude par manque de crédits et par désintérêt du public, annonce l'arrivée dans ses cages de Joey, un nouvel orang-outang pensionnaire contre son gré, donc prisonnier, transfuge d'un quartier de haute sécurité zoologique de Hongrie. Pour moi qui, enfant dans les années 1960, était déjà profondément bouleversé par le regard nostalgique et désespéré des orangs-outangs embastillés dans le même bâtiment vétuste dénommé "singerie", une telle annonce en ce début de troisième Millénaire me ferait presque accroire à un hoax. Hélas ! Anthropocentrisme triomphant, l'incarcération sans raison de Joey, ce jeune homme d'un autre Genre, ne saurait intéresser Amnistie international. Un orang-outang, un gorille, c'est un "animal", comme une sardine ou une tique. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, il existait des zoos humains. Ont-ils vraiment disparus ?

Une passion pour les prisons

"Le jour où les humains comprendront qu'une pensée sans langage existe chez les Animaux, nous mourons de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos rires." Boris Cyrulnik
À l'heure d'une nouvelle conscience écologique, d'un souhaité rafraîchissement universel de nos rapports aux autres espèces, tandis que les primatologues travaillent au fameux projet Grands Singespour une redéfinition de leur statut taxinomiste datant de Linné et donc du XVIIIe siècle, voire pour les intégrer dans le genre Homo, alors que certains pays (comme le Costa Rica) ferment ou s'apprêtent à légiférer du bien-fondé de bannir (USA) les parcs zoologiques, il est consternant qu'en France nous nous encroûtions dans une mentalité rétrograde digne de l'époque du Roi Soleil. Chez nous, aucune remise en cause ne semble envisageable et l'Arrêté du 25 mars 2004 (Directive Zoo) fixant les caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques gère les conditions d'enfermement des animaux (du triton au chimpanzé...) d'une façon guère plus évolutive que celle de notre culture figée et toute héritée de Descartes, voyant l'animal comme une machine, en l'occurrence un objet récréatif. Le statut juridique de l'animal est en France celui de "meuble", ne l'oublions pas !
La mentalité des Français peut être jugée comme ultra-spéciste si l'on se base sur le modèle tortionnaire des cirques qui chez nous semble résister à toutes les critiques. Les conditions y sont encore plus affligeantes que celles du seul enfermement en parcs zoologiques, tant pour les Primates que pour les autres animaux. Belgique, Bolivie, Costa Rica, Inde, Israël, Liban, Paraguay, Pérou... ont déjà interdits sur tout leur territoire les cirques avec animaux sauvages, y compris les singes. De plus en plus de villes d'autres nations refusent de recevoir de tels cirques d'un autre âge. C'est le cas de bien des municipalités de pays comme l'Argentine, l'Australie, le Brésil, la Bulgarie, le Canada, la Croatie, le Danemark, l'Espagne (villes de Catalogne), la Finlande, la Grande-Bretagne, la Grèce, la Norvège, la Pologne, la Suède, les USA... La France reste sans législation sur le sujet, estimant peut-être que le calvaire des animaux est un digne amusement pour les familles.
Une ménagerie est un établissement destiné à maintenir et présenter des animaux sauvages et exotiques, en captivité sous garde humaine, sur un modèle archaïque, niant l'espace et toute reconstitution même partielle du milieu écologique des espèces captives. Ce cadre est celui prédécesseur des jardins zoologiques modernes, dit zoos, et de leur relookage en parcs animaliers "sans barreaux", parcs safaris, parcs de vision, bioparcs et autres euphémismes ou oxymores de la syntaxe d'un marketing cherchant à surfer sur la mouvance pseudo écologique pour faire vainement oublier la coupable incarcération. Présenter des animaux en pseudo semi-liberté est effectivement moins pitoyable qu'en cages, fauveries, singeries et autres culs-de-basse-fosse.

La Ménagerie du Jardin des Plantes

Le terme et le concept datent du XVIIe siècle, mais dès le Moyen Âge, plusieurs souverains maintenaient des ménageries dans leurs cours royales. Une ménagerie est aussi une collection itinérante d'animaux sauvages destinés à être montrés dans les foires et les cirques. La Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris est la plus vieille prison française, un must grillagé, une pièce maîtresse de la muséologie des barreaux, un mouroir au plus loin de la jungle berceau. Elle fut créée en 1793 par le transfert des animaux de la ménagerie royale de Versailles et d'autres ménageries privées et foraines. Lors de la commune de Paris, les animaux furent mangés par les Parisiens assiégés, ce qui pourrait se reproduire si, par une crise qui n'en finirait pas et la fermeture des McDo, les mêmes Parisiens plus zoophages que jamais venaient à manquer de protéines animales !
Les souteneurs de cette "ménagerie" (appellation contrôlée) sont la ville de Paris, le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et celui de l'Écologie et du Développement durable (statut du Muséum national d'Histoire naturelle).
Nous sommes donc restés au temps de Buffon, mais pour la présence de l'orang-outang, entre autres captifs, ce n'est plus la curiosité et le récréatif qui la justifie comme d'antan... Les promoteurs ont trouvé plus fin, plus sarcastique, c'est la déforestation de Bornéo qui sert d'alibi... Merci l'huile de palme. Tout comme Homo sapiens ou Homo gorillaHomo pongo se reproduit, nait et vit plus longtemps en captivité, il y est scientifiquement suivi, bien nourri et "heureux" d'être exhibé à un grand public qui continue d'en rire (parce qu'un singe humain, ça mange son caca...).

Actu pour les badauds

Au bagne les singes, au bagne !



Effroyable pédagogie

Lave-toi le cul avec Dove, bouffe ta tartine de Nutella et va voir les espèces qui ont le malheur d'être protégées en "semi-liberté". C'est 11€ la passe de voyeurisme. Ce qu'il faut lire... : "La ménagerie a privilégié les espèces de petite et moyenne taille pour beaucoup d'entre elles menacées d'extinction". L'orang-outang, c'est de la faunule... Et qui dit "menacé d'extinction" induit "embétonné dans Paris" ! Ils n'ont même pas honte ! 

Le filon des espèces en voie d'extinction

On connaît bien la chanson de tous ces zoos qui s'achètent une vertu en se prétendant centres de conservation et de reproduction d'espèces en voie d'extinction, espérant une reconnaissance du type Arche de Noé. Cette nouvelle justification de faire-valoir est le plus souvent usurpée et permet simplement à ces institutions et à d'innombrables entreprises privées à seule visée mercantile de se maintenir. C'est une carte de visite pour justifier l'injustifiable. Sans cette opportunité induite de l'actuelle sixième phase d'extinction massive d'espèces, ces lieux de captivité seraient clos depuis belle lurette et les vétérinaires sans âme auraient euthanasié à tour de bras. À cet argument s'ajoute celui, imparable et insistant de l'impossibilité de réintroduire dans leur milieu naturel des animaux nés en captivité. Ben voyons... Et c'est pour s'enferrer dans cette fin de non-recevoir que l'on continue à faire se reproduire ces espèces. Le visiteur ne découvre in fine qu'un pauvre ours brun aliéné effectuant ses allers-retours incessants (le tic de l'ours) en plein hiver alors qu'il devrait être en train d'hiberner, prisonnier d'un écoinçon alors que son territoire vital est de 60 kilomètres carrés, soit un million de fois ce qui lui est alloué ; des Primates en milieu confiné derrière des parois de verre et sans aucun arbre ; une otarie applaudissant et faisant tourner un ballon ; etc. Et n'abordons pas ici le cas absolument dramatique des delphinariums qui vont encore plus loin dans l'exploitation éhontée du filon la fausse science pour des activités strictement récréatives, aux fins de l'enrichissement des actionnaires. Et tout cela avec des subventions du contribuable. Tous les parcs zoologiques n'accèdent pas à une forte fréquentation mais, dans l'ensemble, la filière est juteuse avec 350 millions de visiteurs annuels pour les 2000 zoos recensés dans le monde. 

Dans la ligne de pareille honte

La prochaine réouverture du Parc zoologique de Paris, ex- Zoo de Vincennes, avec des animaux "dans leur milieu naturel" en plein Paris et aux bons soins écologiques du bétonneur Bouygues, est une initiative lamentable, une véritable honte à la Française.
L'évènement utilisé comme effet d'annonce à l'occasion du lancement laisse rêveur : "Parrainez un petit prisonnier !" Il s'agit d'une véritable tentative d'escroquerie pour laquelle les associations de protection animales devraient s'en référer à la Justice... si la Justice était un tant soit peu animaliste. À l'heure d'une soi-disant écoconscience, il y a de quoi s'indigner ! Le site en ligne n'a d'égal que les affiches mirobolantes des cirques misérables de mon enfance. 

Tête d'affiche d'un passé qu'on croyait révolu

In memoriam Copito de nieve (Flocon de neige) : 37 ans d'incarcération dans les geôles catalanes ; son délit : être Blanc !
De 1966, date de sa capture par un primatologue mal intentionné, jusqu'en 2003, date de son décès derrière les grilles du zoo-prison de Barcelone où il fut exhibé comme tête de gondole (le fric, messieurs-dames, le fric !), cet homme albinos aura passé sa vie entière prisonnier des attardés. Justifications : science et génétique.


Et tout le monde est d'accord avec ça puisque la détention d'autres Grands Singes se poursuit pour le plus grand plaisir des familles dominicales écervelées.

Et basta, mode d'emploi !

Pour en finir avec les cages, ainsi qu'avec tous les modes dérivés et virtuellement plus "oxygénés" qui n'en restent pas moins des cas de privations de liberté, ainsi que des abstractions de vie dans les écosystèmes adéquat, il faut bien sûr interdire irrévocablement et sans exception les zoos sous toutes leurs formes. Cela fait partie d'une lutte générale contre l'anthropocentrisme exacerbé et l'exploitation animale, d'une sortie définitive d'un paradigme moyenâgeux.
Dans cette urgence du respect des libertés, les Grands Singes sont prioritaires en raison de leurs affinités génétiques et éthologiques avec nous. Mais l'antispécisme impose que tous les animaux vertébrés, non domestiques et non comestibles (là est un autre débat...) doivent reprendre le chemin de leurs habitats d'origines.
Plusieurs catégories seront reconnues. Les singes Hominidés et de nombreux grands mammifères nés en captivité, souvent depuis plusieurs générations, ne sont pas aptes à se réadapter spontanément dans leurs biotopes respectifs. Leur remise en liberté doit être accompagnée et circonscrite selon un protocole scientifique dans le cadre de centres de conservation, de refuges-sanctuaires des contrées d'origines comme il en existe déjà. C'est là que les zoologues se consacreront à leur chère conservation des espèces menacées, sans exhibition "foraine" derrière des verres, des cages et des grillages dans l'univers bétonné et pollué d'une mégapole ou d'une campagne française dont la faune locale est le lapin de garenne... Il faudra multiplier de tels sanctuaires dans tous les biomes des continents. Les pays nantis et responsables de cette situation ont parfaitement les moyens de produire les crédits nécessaires. Au même titre qu'ils devront, un jour, restituer les trésor dérobés de leurs musées. De faramineuses sommes d'argent ont été encaissées depuis des siècles par les entrées de visiteurs et sur le dos de tous ces animaux emprisonnés. Les espèces appartenant à des faunes locales peuvent parfaitement être relâchés. Et s'il reste des cas insolubles, l'euthanasie sera la solution finale puisqu'il faudra bien en finir. Les municipalités ne se gênent pas avec les chiens et les chats errants.
Militons déjà et tout de suite pour la fermeture de la honteuse Ménagerie du Jardin des Plantes et de tant d'autres centres d'incarcérations d'orangs-outangs, de gorilles, de chimpanzés, de bonobos, de gibbons... sous le fallacieux prétexte "qu'on ne peut faire autrement" ! Manifestons aussi notre désapprobation pour la réouverture du Zoo de Vincennes et incitons à son boycott !
Science ? Bien sûr que non ! Décadence et esprit de lucre ? Bien sûr que oui !

Notes

L'auteur, zoologue éminemment rompu à la systématique, a recours ici à une taxinomie de complaisance qui regroupe idéalement les gorilles Gorilla gorilla, G. beringei et leurs sous-espèces, les orangs-outangs Pongo abelii et P. pygmaeus, le bonobo Pan paniscus, le chimpanzé P. troglodytes et ses sous-espèces dans le Genre Homo dont la seule espèce actuellement reconnue est sapiens (et ses sous-espèces). Le but est un volontaire parti pris pour attirer l'attention sur la proximité spécifique des Hominidés (Grands Primates) et tenter ainsi d'obtenir un meilleur respect de leurs libertés. À notre grande famille générique, ne manque ainsi que l'Australopithèque, hominidé disparu ayant vécu il y a 7 millions d'années.

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vendredi 20 décembre 2013

Mon souhait pour l'année 2014 mis en mots par M. Tarrier

Michel Tarrier : La préhistoire est finie, mettez votre assiette à jour ! Bien des espèces omnivores à tendance carnivore ont évolué. L'un des plus emblématiques exemples est celui du Grand Panda, cet ursidé qui se contente désormais de pousses et de feuilles de bambou. Selon les chercheurs, le génome du panda (21.000 gènes, 2,4 milliards de bases) contient tous les gènes codant les enzymes caractéristiques d’un régime carnivore. Mais l'animal a perdu toute capacité gustative nécessaire pour apprécier la viande. Exception faite d'Homo sapiens, champion de toutes les outrances contre-nature, on ne connaît guère d'exemple inverse. Seul notre bon copain déraisonnable qu'est le Bonobo est censément enclin à d'occasionnelles dérives bouchères, voire cannibales, quand l'occasion fait le larron. Avant la fin de ce siècle, la viande aura disparue, seuls quelques citoyens suffisamment riches pour être monstrueux, continuerons de se délecter de chair fraîche, comme au temps des rois, et à en perdre la santé mentale et physique. En devançant cette date, nous pouvons être d'avant-garde, tant pour notre corps que par respect pour les animaux et la planète.
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