mercredi 6 juillet 2011

L'AGONIE SERA LONGUE


Michel Tarrier :

L’humanisme, ou l’homme hypertrophié

L’anthropocentrisme, agrémenté plus tard de son fameux humanisme, aura marqué une période définissable comme l’anthropocène, s’achevant en queue de poisson par l’oléocène « pétrolivore » comme sous-périod...e brève mais particulièrement cuisante pour le destin planétaire puisqu’elle va changer la donne géographique en modifiant le climat. La postérité témoignera de l’empreinte d’un progrès qui, imposture tout autant dialectique que sémantique, n’aura été qu’un signe d’involution à force d’un usage en majeure partie erroné et détourné au profit de privilèges indus. Homo sapiens, comme sage… Vraiment ? Cette empreinte peut se résumer au final par l’existence d’un poubellien en guise de couche géologique supérieure des terres émergées, ayant eu raison des strates végétatives et ne laissant plus qu’un substrat laminé, galvanisé, dans un ensemble soit pollué, soit désertifié, souvent les deux à la fois. Cette couche incommensurable de déchets solides terrestres est agrémentée d’un septième continent d’ordures aussi vaste que la moitié de l’Europe et flottant dans le Pacifique nord. Cette accumulation croissante de déchets plastiques près des côtes d’Amérique du Nord procède de courants tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, gyre subtropical formant un puissant vortex et concentrant par une force centripète plusieurs millions de tonnes de déchets venus des côtes ou issus de la navigation. Cet édénique continent, dont Christophe Colomb fut épargné sur sa route, forme déjà une plaque de 3,43 millions km2 et de 30 m d'épaisseur.

Sous couvert de défendre la vie, nous aurons généré la mort lente. Autant dire que toute tentative vitale éprouve les pires difficultés à se maintenir dans ce chantier, de type lego, d’exploitation kamikaze de la Terre. De sorte que le réservoir génétique tend à se retrouver réduit à sa plus simple expression. D’où l’annonce peu surprenante de cette sixième phase d’extinction massive d’espèces, la première qui ne résulte pas d’une cause physique mais est signée de la patte inhumaine d’une prétendue humanité, passée du rôle biologique de prédatrice à celui dénaturé d’exterminatrice. On pourrait dire, méchamment, que le tour de l’humanisme est joué. Et comme certains assurent que le capitalisme auto ruiné par l’ultralibéralisme est en sursis, si ce n’est en décomposition, ni celui-ci, ni sa bonne conscience humaniste ne pourront, au moment de déguerpir, prétendre laisser les lieux en l’état où ils les avaient trouvés en arrivant. La faillite de l’espèce humaine sera frauduleuse, Gaïa en collapse attestera de cette misérable banqueroute, aucun agresseur n’aura cependant été inquiété à l’exception de quelques voleurs d’oranges. « N’est- ce pas le seul espoir de la planète que les civilisations industrielles s’écroulent ? N’est-ce pas notre responsabilité d’y travailler ? » questionnait héroïquement Maurice Strong en 1992, alors à la tête du Sommet de la Terre de Rio. « La cause immédiate de la crise écologique est le capitalisme qui est un cancer dans la biosphère », ajoutait Murray Bookchin, de l’Institut for social ecology (USA). « Le rêve environnemental est une société égalitaire, basée sur le rejet de la croissance économique, sur une décroissance démographique, une alimentation à partir des éléments de base de la chaîne alimentaire, sur une moindre consommation, et un partage de moins de ressources mais plus équitablement », concluait Aaron Wildavsky, professeur de science politique et de politiques publiques à Berkeley, lequel critiqua farouchement le mouvement écologiste dans son ouvrage Risk and Culture.

C’est quoi, dans la société marchande où nous sommes ancrés, notre admirable et si respectable humanisme, mis à part le don du bout de pain, d’un sac de riz et d’une aspirine ?

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