samedi 26 février 2011

FAUT-IL MANGER DES ANIMAUX




Futurs jambons à l’érable... Sevrés à 15 jours, castrés à froid, édentés, médicamentés, élevés dans le métal, ils font partie d’une chaîne alimentaire
industrielle dont ils représentent le maillon faible.

Adieu veau, vache, cochon, couvée

Ou comment arrêter de suivre le troupeau par Josée Blanchette

Citation :
    • «... l'omnivore totalement non sélectif — " Je suis ouvert à tout; je mangerais n'importe quoi " — passe pour plus sensé socialement que le citoyen qui s'efforce de manger sans nuire à la société.» «Ne rien faire c'est encore faire quelque chose.» - Jonathan Foer, Faut-il manger les animaux?
    • «Personne ne peut plus nier sérieusement et longtemps que les hommes font tout ce qu'ils peuvent pour dissimuler ou pour se dissimuler cette cruauté, pour organiser à l'échelle mondiale l'oubli ou la méconnaissance de cette violence.» - Jacques Derrida, philosophe
Bien sûr, en entamant un livre intitulé Faut-il manger les animaux?, vous connaissez déjà la réponse. C'est comme se demander si Kadhafi pourrait être votre ami Facebook ou si Guantánamo est une succursale du Club Med. Et en terminant ce livre, vous êtes condamné à vous poser encore davantage de questions dont, cette fois, vous ne connaissez pas nécessairement les réponses.

Par exemple, pourquoi les végétariens (et les végétaliens, encore pires!) passent-ils pour des illuminés, des extrémistes, des éleveurs d'abeilles, des actrices névrosées et anorexiques qui incarnent des ballerines possédées au cinéma (la comédienne Natalie Portman est devenue végétalienne après avoir lu ce livre), des demi-portions sans virilité qui n'assument pas leurs canines, des disciples d'Hitler (il était végétarien, lui aussi!), des bouddhistes de fin de semaine abonnés aux podcasts de Par quatre chemins (Languirand est végétarien depuis qu'il a de gros sourcils).
Tiens, et pourquoi 18 % des jeunes dans les universités américaines sont-ils végétariens? Et pourquoi ces bouffeurs de luzerne sont rarement obèses? Pourquoi Michelle Obama s'est fait garrocher des tomates, dernièrement, lorsqu'elle a soulevé la problématique de l'alimentation déficiente en fruits et légumes dans un pays où l'obésité représente le problème numéro un de santé publique? Sûrement rien à voir avec le lobby des producteurs de viande qui ressemble drôlement à celui des producteurs de cigarettes.

Je me suis aussi demandé pourquoi on voyait rarement d'images d'abattoirs à la télé, ni d'élevages industriels. Qui sait ce qui se trafique là, à part les inspecteurs du MAPAQ, et encore. Même mon ex-boucher du marché Atwater est devenu végétarien...

Je me suis également demandé pourquoi j'ai été assez naïve pour penser que la viande bio que j'achète occasionnellement au marché était épargnée par cette culture de la souffrance, cette dénaturation de l'animal, ce confinement imposé (les images abondent sur le Web si vous manquez d'imagination), ces manipulations génétiques dignes du labo de Frankenstein; qu'elle était moins assujettie à la culture du profit qui règne si allègrement sur l'agrobusiness.

Je me suis enfin questionnée sur les 450 milliards d'animaux élevés industriellement chaque année sur la planète (oui, c'est bien le chiffre fourni par la FAO, la Food and Agriculture Organization), un génocide pour le moins consternant. Et qui va en augmentant avec la Chine et l'Inde préférant le foie gras aux lentilles.

Plus pour moins

Lorsque je vais chercher mes oeufs chez «ma» fermière Wendy (j'y achète parfois du poulet et du lapin), il n'est pas rare que j'entende bêler des agneaux dans la cuisine. Wendy donne le biberon à des triplés en ce moment, «pour que la mère prenne un break et pour les garder au chaud près du poêle».

Wendy ne mange pas ses agneaux, elle les pleure à chaque retour de l'abattoir. Elle a choisi une vie de fermière très modeste parce que le système l'y oblige. Elle fait des ménages pour joindre les deux bouts: «Y a pas de place pour les fermes moyennes. J'ai 91 brebis, 4 lapins, 1 âne, 32 poules, et j'aurais droit à 99 poulets, pas un de plus, sinon c'est 250 $ de quota par poulet à payer au gouvernement.» On comprend vite à quel point il faut rentabiliser le poulet en question. Les fermiers deviennent les dindons de la farce.

Au Québec, comme aux États-Unis, il ne reste presque plus de petites fermes comme celle-ci. 99% de la viande provient d'élevages industriels chez nos voisins du Sud.

En terminant le livre de Jonathan Safran Foer, jeune romancier américain devenu journaliste d'enquête, j'ai aussi compris pourquoi les fermiers sont quatre fois plus susceptibles de se suicider que le reste de la population. Renier son humanité à ce point semble dangereux pour la santé mentale.

Rien que dans le milieu des abattoirs, le taux de roulement du personnel est de 100 % et les employés, souvent des immigrants sans le sou qui ne parlent pas les langues officielles ou n'ont pas de permis de travail, se chargent du sale boulot.

Foer a consacré trois années de sa vie à écrire ce livre, dont un an de recherche documentaire, puis sur le terrain, des entrevues avec de petits et gros éleveurs de toutes allégeances (même une végétarienne qui élève du boeuf), des incursions illégales d'élevages industriels, la nuit, pas une seule visite d'abattoir, impossible d'y avoir accès sous prétexte de «biosécurité».

Bien écrit, imagé à souhait, son best-seller (États-Unis, Italie, Allemagne) qu'on vient de traduire en français se lit d'une traite (façon de parler): des faits bruts, pas d'agressivité envers les producteurs — nous pratiquons tous l'élevage par procuration à travers nos choix alimentaires —, mais une fouille systématique des pratiques de ce milieu. Coeurs sensibles, s'abstenir.

Complices du crime

Je ne vous fais pas grâce des cochons qu'on sèvre à 15 jours (plutôt que 15 semaines dans la nature), à qui on arrache les dents, coupe la queue et testicules à froid (les anesthésiants coûtent cher), à qui on retire le gène du «stress» (parce qu'il affecte la viande), des truies qui accouchent dans leur merde (lisier). Je ne vous fais pas grâce des poulets à grosses poitrines modifiés génétiquement et nourris aux antibios de façon préventive, qui vivent plus près de l'agonie que du paradis, même «en liberté», dans des cages où on n'a d'autre choix que de les débecquer et qui bénéficient de l'espace vital de la dimension d'un livre ouvert. Je vous fais grâce du transport et de toutes les étapes de l'abattage, un pur cauchemar.

Foer braque simplement l'éclairage là où règne l'obscurité, sur toutes les horreurs devenues banalités courantes dans une industrie qui se cache et que nous ignorons avec beaucoup de talent, sous prétexte que le boeuf haché est en spécial à 3,90 $ le kilo chez Maxi.

Loin d'être un militant hystérique de la PETA (People for Ethical Treatman of Animals), mais émule de Michael Pollan (The Omnivore's Dilemma) et de John Robbins (activiste végétalien, auteur de Se nourrir sans faire souffrir), Jonathan Safran Foer s'est converti au végétarisme. Il milite aujourd'hui pour que l'humanité diminue sa consommation de viande (et de poissons!), conscient que le végétarisme serait une solution idéaliste et le végétalisme, une impossibilité culturelle pour la majorité.

Pour des raisons éthiques (besoin de plus?), morales (1 c. à thé chaque matin avec les antidépresseurs), environnementales (un carnivore occupe sept fois plus de terrain qu'un végétarien, sans compter que le secteur du bétail est le plus gros générateur de gaz à effet de serre), sanitaires (grippes aviaires, porcines, oeufs à la dioxine, vache folle, etc.), de santé (maladies cardiovasculaires, cancers, diabète, maladies chroniques), sociales (1,2 milliard d'humains crèvent de faim selon la Banque Mondiale, qui n'a de cesse de sonner l'alerte) et éducatives (nos enfants ne se font pas prier pour renoncer à la viande lorsqu'ils découvrent comment on élève leur pepperoni), on peut choisir de devenir végétarien, végétalien ou à tout le moins un carnivore éthique très sélectif.

Sans fierté, mais avec un grand soulagement, c'est ce que j'ai fait.


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